Les amants d’Hérouville,
Une Histoire Vraie,
Yann Le Quellec et
Romain Ronzeau, avec des postfaces de Costa-Gavras, Eddy Mitchell,
Sempé et Bill Wyman, éditions Delcourt, 2021.
Si j’avais vécu dans le château d’Hérouville, moi qui adore la vie de
château tant chez Franz Kafka que chez Pauline Réage ou bien chez
Shirley Jackson, j’aurais dragué tous les beaux minets qui s’y
trouvaient à commencer par Marc Bolan suivi de David Gilmour,
Areski Belkacem et de Nino Ferrer. Un à un, avec moi, ils seraient
tous passés à la casserole! Et j’aurais fait des pieds et des mains, de
terribles bassesses, d’abominables bassesses, pour mettre le grappin
sur Michel Magne, le roi du château! Vive le roi, à moi le roi!
Enfant, je me trémoussais frénétiquement et fièrement en ersatz de
Travolta (fallait me voir, j’avais six ans!) sur « Staying Alive » des Bee
Gees. J’avais fait l’achat de la b.o.f. de Saturday Night Fever en
cassette 8 pistes et je la chérissais plus que tout! Savais-je qu’elle avait
été enregistrée en partie dans le château d’Hérouville? Pas du tout!
Ma culture musicale s’est bâtie avec ma culture cinématographique et
inversement. Par exemple, lorsque j’avais 15 ans, j’ai vu Emmanuelle
4 qui était diffusé à Bleu Nuit. Drôle de film qui avait d’abord été présenté au cinéma dans sa version 3-D et qui mettait en scène Fabrice Luchini dans le rôle du prestidigitateur qui permet à Emmanuelle de faire de la lévitation… rien de moins! La b.o.f. du film
m’avait aussitôt plu. Je me suis donc lancé à sa recherche. Je l’ai
finalement achetée en cassette chez Zellers et c’est ainsi que je
découvrais l’univers de Michel Magne avec des titres tels que « Bach-
anal » chantée par nulle autre que Christiane Legrand! B.o.f.
ambitieuse, improbable, inégale, pop mais aussi baroque,
Emmanuelle 4 est la dernière musique composée par Michel Magne
avant son suicide survenu le 19 décembre 1984. Et moi qui venais tout
juste de faire sa connaissance! Du moins, c’est ce que je croyais!
Les amants d’Hérouville (une histoire vraie), le roman graphique
signé, dessiné et mis en couleurs par Yann Le Quellec et Romain
Bronzeau a su traduire de façon ludique et émouvante le parcours
d’un génie authentique, d’un fonceur à toute épreuve et d’un
amoureux fou. La démesure des projets de Michel Magne, son
caractère tout à fait cabotin et fantasque, son allure de tombeur ont
fait de lui un être unique dont le talent, autant à titre de compositeur,
d’arrangeur et de producteur, mérite d’être davantage reconnu.
Pourquoi? Parce que Brigitte Bardot, Henri Salvador, Jean Yanne,
mais aussi Elton John, les Bee Gees, Pink Floyd, T-Rex, David Bowie
l’ont reconnu et apprécié en travaillant avec lui. Son studio situé à
Hérouville, dans le Val-d’Oise, au Nord de Paris, fut, durant toutes les
années 1970, LE lieu où il fallait enregistrer son album! Entre deux
prises et quatre cigarettes, on s’y installait, on y mangeait, on s’y
baignait, et on y faisait beaucoup l’amour! C’est la réputation qu’avait
ce magnifique château converti en studios d’enregistrement avec le
nec plus ultra en matière d’équipement et d’installations.
Nous avons toujours habité le château…
Saviez-vous que?
Le château d’Hérouville a abrité les amours de George Sand et de
Frédéric Chopin. Michel Magne nomma deux studios en leur
honneur.
À qui a, entre autres, appartenu le château durant les années 1950? À
la fille de l’autrice Colette! Toutefois, elle y allait très peu souvent et
en a bien peu pris soin…
Nanette Workman, nouvelle flamme de Johnny Hallyday, a
accompagné ce dernier au château en 1973 pour l’enregistrement des
chœurs.
David Bowie, durant son séjour au château, se plaignait de manger
trop de lapin et de pommes de terre.
Devant l’annulation de ce qui devait être le « Woodstock français »,
qu’ont proposé les membres des Grateful Dead à Michel Magne? De
jouer dans les jardins du château! Michel Magne a invité 200
personnes à assister à ce concert en plein air. Ces dernières venaient
de la région de Val-d’Oise, ne s’y connaissaient pas du tout en matière
de musique rock. Magne, qui avait horreur des policiers, a plutôt
engagé des sapeurs-pompiers pour assurer la sécurité des gens. Le
spectacle a duré, quoi, six heures, neuf heures? Les gens ont d’abord
très bien mangé, très bien bu, puis se sont agglutinés autour des
Grateful Dead, qu’ils ne connaissaient nullement, et se sont
littéralement abandonné à leur musique. Ils ont chanté, dansé et l’un
des sapeurs-pompiers, sous l’effet du LSD, a plongé dans la piscine,
entraînant avec lui des dizaines d’autres personnes. Au bistro, le
lendemain matin, on se disait, malgré la gueule de bois, qu’on avait eu
la plus belle soirée de notre vie!
Durant les années 1950, Michel Magne et Françoise Sagan furent des
inséparables. Ils roulaient ensemble à toute allure, voyageaient,
filaient vers les États-Unis pour y rencontrer Duke Ellington, y passer
une nuit entière à écouter Billie Holliday (Michel l’a d’ailleurs
accompagnée au piano et il n’en était pas peu fier!), menaient la vie
d’aristocrates excentriques ne comprenant pas un traître mot
d’anglais, logeaient dans la maison de vacances de Tennessee
Williams à Key West. Ensemble, ils ont aussi écrit et composé de très
belles chansons pour leur muse : Juliette Gréco.
Magne est aussi l’un des pionniers de la musique électronique en
France, et ce, bien avant Jean-Michel Jarre et François de Roubaix.
Dès 1948, il se passionne pour le theremin, les ondes Marthenot.
Faute de moyens, il enregistrera ses propres musiques
expérimentales à faire pâlir John Cage et Yoko Ono! Envie d’en faire
l’expérience? Procurez-vous Musique Tachiste qui regroupe plusieurs
de ses compositions dont « Musique pour un trou » et « Larmes en
sol pleureur » jouées avec… des fourchettes et des cloches dans l’eau
bouillante!
Barbarella, reine de la galaxie, le film de Vadim, ça vous rappelle
quelque chose? Ces vilaines petites poupées mécaniques qui s’en
prennent violemment à notre héroïne, vous vous en souvenez? C’est
au son de la musique de Magne qu’elles faisaient ainsi leurs ravages!
Et pour remercier Magne, Jane Fonda a fait planter un très jeune
arbre à deux pas du château. Et depuis, il ne cesse de grandir et de
s’épanouir!
Voilà votre curiosité bien piquée maintenant! Il ne vous reste plus
qu’à vous procurer le livre!
Quoi écouter maintenant?
Parmi les 85 musiques de films que signa Magne, je vous
recommande Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil; Un
singe en hiver; Fantomas; Furia à Bahia pour OSS 117; Les tontons
flingueurs.
La chanson-testament de Michel Magne?
« Un jour je quitterai tout », interprétée par Régine en 1970. Elle a été
mise en musique par Michel et elle a été arrangée par Alain Goraguer.
À noter que Régine, sur la pochette du 45 tours, est photographiée
par nul autre que Just Jaeckin qui réalisera, quatre ans plus, le tout
premier Emmanuelle.
Parmi les albums enregistrés aux studios d’Hérouville, voici
ceux que vous connaissez et que vous chérissez!
La Vallée (Obscured by clouds) de Pink Floyd
Honky Château, Don’t shoot me I’m only the piano player et
Goodbye Yellow Brick Road d’Elton John
The Slider de T.Rex
Pin Ups et Low de David Bowie
Locomotive d’or de Claude Nougaro
Saturday Night Fever des Bee Gees
Mirage de Fleetwood Mac
La curiosité parmi les curiosités?
Moshe Mouse Crucifixion, une collaboration entre Michel Magne et
Boris Bergman, parue en 1975. Imaginez Kurt Weill qui lorgne du côté
de l’Afrique et de la Russie avec une bonne dose de hip hop! Écoutez
« Prophet » et vous comprendrez!
Comments