
J’ai vraiment adoré le premier album de Rachel Leblanc (qui œuvre sous
le pseudonyme de Vanille), Soleil ‘96, réalisé par Emmanuel Éthier. Tout
était là pour me charmer : mélodies fortes, performances de band super
inspirées, et surtout la voix aérienne et envoûtante de Rachel. Elle
possède une qualité trop rare à mes yeux : une absence presque totale
de vibrato, ce qui requiert une confiance et une justesse implacable.
D’autres exemples récents d’une pareille voix au Québec ne me viennent tout simplement pas à l’esprit.
J’étais donc plus que prêt à recevoir son deuxième disque, La Clairière,
(réalisé par Rachel avec Alexandre Martel) du moins je le croyais - mais
il s’y opère un tel virage stylistique qu’à prime abord j’aurais pu ne pas
m’y retrouver : exit la pop francaise psychédélique de son premier opus;
ici il y a surtout des pièces sans batterie ni basse, l’instrumentation flirte
avec le médiéval (flûte traversière, guitare classique, beaucoup de 12-
cordes, Mini Moog comme instrument lead, voix plus à l’avant du mix et
toujours sans vibrato...) on a affaire à une artiste qui n’a pas fait son
deuxième disque pour en remettre sur l’image déjà projetée par son
premier : l’indépendance artistique de Vanille ne saurait être
questionnée, et le mot clé ici est intégrité.
Le premier extrait, Mon petit chemin, un bijou de pop en apparence
léger, ne vend pas entièrement la mèche. L’orchestration est axée sur la
formation classique batterie-basse-guitares-claviers, assez French pop
des années soixante (avec un hook irrésistible) et la voix est plongée
dans une réverbération chaude et vaste; comme on s’y attendait en
quelque sorte. Mais le reste de l’album et truffé de grâces lyriques et
intimistes, les textes d’apparence simples sont des perles de sagesse
subtile. Sur la pièce Anna, elle chante à celle qui semble être une amie
subissant de la violence domestique : “Anna, tu as les yeux rougis (...) Tu
ne dois rien à personne”. Simple mais tellement vrai - la violence subie
ne devrait jamais nous placer dans l’obligation d’en garder le secret - et
le tout livré avec une douceur qui fait monter le cœur au bord des
lèvres. Ou encore, dans Par-delà les monts: “je sens sous le rocher des
millénaires d’existence, et dans mon cœur c’est une fête”, couplet qui
évoque l’acceptation heureuse de l’éternité du temps et la force de la
nature par rapport à la fugacité de la vie humaine. La pièce Quand la
neige tombe, qui conclut l’album, est une longue montée
merveilleusement réussie. En prime, pour les geeks, on réalise que ce
qui nous apparaissaît comme le downbeat (le premier accord de
guitare) est en fait une levée - et l’effet de surprise que crée la basse
(fournie par Christophe Charest-Latif) et les percussions à leur entrée
procure un vertige étonnant (et voilà pour la finesse, au sens que l’on y
donnait chez Stereolab il y à quelques années). Ce qui m’a également
beaucoup plu est la richesse harmonique des compositions. Les
arrangements de guitare rappellent le travail de certains grands
guitaristes comme Ralph Towner, Bert Jansch et John Renbourn; il est
assez rare de rencontrer des sonoritiés si profondes chez une artiste
aussi jeune. On peut parler chez Vanille d’une vieille âme sage qui
s’exprime; je le crois. Et cette sagesse arrive comme un baume pour
l’auditeur, bombardé qu’il est dans cette époque de musique formatée et
autres collages sur Pro-Tools, étrangers à toute forme d’artisanat. La
laine est plus douce que le polyester, pourrait-on dire. Plus chaude ?
Certainement.
Vanille propose un antidote à la facilité (j’allais écrire : à l’autotune) et
est une artiste inspirante dont la carrière promet d’être intéressante à
suivre. L’intégrité est plus que jamais précieuse de nos jours et c’est
avec plaisir que je vous recommande de découvrir sa musique un peu
(beaucoup) en dehors des modes. Idéalement sur vinyle, mais
obligatoirement avec du temps et du silence. Elle le mérite. Et ce sera
vous qui y gagnerez, soit en sagesse, soit en rêverie. Il n’en tient qu’à
vous de vous y arrêter. Et qui donc ne s’attarderait pas dans une
clairière, par une journée lumineuse et douce ?
-Joss Tellier
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